Ce sont deux passés composés à conjuguer, c’est à prendre ou à laisser. Ce sont ces sourires qui n’ont pas fui nos souvenirs, les bouts d’enfance qu’on enjolive, parce qu’on a oublié une journée, une année : il devait y avoir avait une tache dessus. C’est d’où on sort et les langues qu’on parle sans en parler et ces portraits de famille qu’on dresse par bribes, sans occulter celui ou ceux qui dessinent une ombre au tableau. Ce sont les petites choses qui nous révoltent depuis toujours ou depuis hier, livrées à l’état brut ou par petites touches, parce qu’on aime l’impressionnisme. Ce sont deux « il était une fois » qui n’ont pas dit leur dernier mot.
On n’est pas venu sans bagages. On ne voyage pas léger, il y a toutes ces valises à trainer. Celles qui gardent les traces violacées des fois où on a aimé avec l’audace de ceux qui sautent à pieds joints sur un lac gelé, et qui coulent, persuadés de ne pas la voir se fissurer. Celles qui sont déchiquetées, trouées par ces quelques coups de poings bien placés qui ne laissent des bleus qu’à l’intérieur et que l’on tente de rafistoler. Celles toutes intactes, témoins de ces fois où on n’était pas chiches de se mouiller, où on ne pouvait plus se mettre à nu ; trop peur de s’acoquiner avec un déjà vécu qui nous avait bien eu. On s’est fait manger par un cynisme à qui on hurle ta gueule.
Et pourtant sans ces passés composés on serait autres ; cette délicate force d’aujourd’hui et celle de notre futur simple ou compliqué, on l’aurait à peine frôlée. Pourtant on se retrouve à aplatir vigoureusement, lorsqu’elles déboulent, nos chairs de poule qui font de nos peaux des reliefs de peur. Des riens, une phrase surinterprétée, une impression givrée, une conversation avortée, fabriquent des tempêtes dans la tête. Le vulgaire coup de flippe qu’on s’est juré de maîtriser mais qui s’invite tel un de ces souvenirs qui fiche un haut le cœur. C’est mon silence qui tape du poing sur la table et le bleu du fin fond de mes yeux rivé sur un objet invisible qui a tout l’air d’une pensée à tuer. C’est ton regard gris comme un bout de ciel en hiver, là et perdu à des années lumières, tes lèvres qui sans un mot ont l’air d’articuler une histoire puis ton sourire éclair qui repousse le nuage. C’est notre incapacité à dire tout haut ce qu’un geste traduira presque mot pour mot.
Ce sont deux passés composés à conjuguer, pour mieux les adoucir. Viens comme t’es, j’apporterai dans ma valise trouée cette faculté d’aimer presque à découvert, même à-demi terrorisée.
Article rédigé par Petite Voix Off
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