Lecture de rentrée : Le bâtard récalcitrant, de Tom Sharpe BEAUTÉ

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Pour se remettre du choc de la rentrée, rien ne vaut un roman loufoque. Le bâtard récalcitrant* est de ces romans qui ne sauraient être qu’anglais. Tom Sharpe (sharp : l’affûté), né en 1928 d’un père pasteur plutôt rigide et d’une mère sud-africaine, est parti travailler une dizaine d’années (1951-1961) à Soweto (Afrique du Sud) où il s’est insurgé contre l’apartheid avant d’en être expulsé et fiché comme « communiste » – ce qu’il a découvert lors d’une demande de visa des années plus tard. Après cette expérience, Sharpe se lance dans le métier d’enseignant, le tout a donné matière à des romans plutôt décapants.


 


Dans la lignée des Monthy Python, notamment de John Cleese (on pense à Un poisson nommé Wanda), quelques obsessions sont fermement ancrées dans ses livres : la critique de l’administration, en particulier le fisc, le refus des conventions et du « politiquement correct », le souci que les choses soient bien faites et selon des valeurs qui n’ont rien à voir avec l’argent ou l’ambition mais plutôt l’honnêteté et la droiture et aussi, ce qui crée turbulences, rebondissements et problèmes en tout genre, l’omniprésence de la sexualité. Les personnages de Sharpe ont toujours un sens aigu de leur libido et du genre de personnes avec qui ils aimeraient l’entretenir.


 


Armé d’une vision critique des travers de la société comme des individus et d’un sens très anglais du décalage, sans parler de l’art d’enchaîner les situations toutes plus absurdes les unes que les autres sans reprendre son souffle, Tom Sharpe brosse dans Le bâtard récalcitrant le portrait du jeune Lockhart Flawse. Lockhart, orphelin de mère et de père inconnu, est élevé par son grand-père, homme fantasque et peu au fait de la modernité, partisan de l’enseignement des mathématiques et des bonnes vieilles vertus d’autrefois, qui vit retranché dans son domaine de Flawse Hall, situé « sur la lande la plus glaciale du Northumberland ». Tenu soigneusement « dans la totale ignorance des choses de la vie » et ne disposant pas d’état-civil, son grand-père n’ayant jamais déclaré sa naissance, Lockhart est éduqué par des précepteurs, choisis en fonction de « leur détachement vis-à-vis des contingences terrestres » et des gouvernantes, recrutées selon « leur complaisance à partager le couvert et le lit du vieux Flawse ».


 


Lockhart est un chasseur émérite qui, à l’âge de 17 ans, a tué à peu près tout ce qui vit aux alentours, ce qui a poussé les renards dépourvus de nourriture « à mettre un terme à une situation intenable en s’exilant vers des landes moins astreignantes ». Le médecin du vieux Flawse lui ayant conseillé une croisière, son petit-fils qui l’accompagne tombe amoureux sur le bateau de la jeune Jessica Sandicott tout aussi innocente que lui pendant que la mère de Jessica décide de mettre le grappin sur le grand-père qu’elle pense fortuné et aristocrate. Cette innocence qui porte Jessica à croire que les bébés sont amenés « par les cigognes dans des petits berceaux de tissu et leurs mamans sont toujours si contentes » n’est pas sans conséquence sur la vie conjugale nocturne des deux jeunes gens. ‘ »Quand ils se mettaient au lit le soir et dormaient dans les bras l’un de l’autre, il avait une érection et elle non. Il était trop courageux et trop gentleman, pour faire part des douleurs que lui occasionnait le fait, comme on dit vulgairement, d’avoir le gourdin. Ils se bornaient, serrés l’un contre l’autre, à des baisers passionnés. Lockhart n’avait pas la moindre idée de ce qui se passait ensuite – pas plus que Jessica ».


 


Sharpe dit de lui-même qu’il écrit « au coupe-coupe » et c’est exactement l’attitude de Lockhart qui,  face aux tracas administratifs et à tous ceux qui essaient de porter atteinte à son conjugal et très chaste bonheur avec l’adorable Jessica tranche tout ce qui dépasse et tout ce qui gêne. Tous les moyens sont bons : donner du LSD à un bull-terrier qui va prendre les policiers pour des panthères et les troncs d’arbre pour des pattes de mammouth, mettre du produit pour décaper les fours à l’intérieur de préservatifs (ce qui a des conséquences tragiques pour l’utilisateur desdits préservatifs), livrer des sex-toys à des vieilles filles, mettre des rats crevés dans les égouts… Pendant que Lockhart entreprend de retrouver son père (l’auteur ne nous épargne aucune hypothèse, même les plus dérangeantes) et de protéger les biens de son épouse des mesures iniques de l’administration fiscale, son grand-père, remarié avec la mère de Jessica, essaie d’échapper à la mort accélérée que lui promet celle-ci, désireuse d’hériter au plus tôt et de rénover de fond en comble l’ancestrale demeure.


 


Les rebondissements s’enchaînent et l’imagination du jeune Lockhart pour déjouer les pièges de la normalité est sans limites, comme apparemment celle de l’auteur. Jusqu’au bout, jusqu’aux dernières lignes, on est tenu en haleine.
 




Photo Tom Sharpe
 


* titre original : The Throwback, traduit de l’anglais par Jean-Paul Mourlon, 10/18, 1996


 
 




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