À la merveille, un film de Terrence Malick
Une histoire de couple, ça aurait pu être désespérément bis repetita, grossièrement sucré, faux à te donner la nausée. Mais là, malgré la douceur de la voix off, c’est une gifle que tu te prends. Ils s’aiment, assurément, comme on aime trop rarement. Ils sont majestueux, aériens, muets. Tu te dis que ça va virer au rose bonbon. Mais non, on en reste à une forme de poésie qui procure tantôt une sensation de tournis, tantôt celle de voler. Dans leur escapade au Mont-Saint-Michel, ils sont beaux lorsqu’ils laissent d’éphémères empreintes dans le sable. Les paysages défilent, nobles, à leur image ? Tu commences à craindre la chute. Tu appréhendes l’arrivée d’une brutalité inouïe, fière remplaçante de la beauté. Tu sais qu’atterrissage il doit y a avoir mais t’as pas envie qu’ils s’écrasent.
Ils sont trois. Elle a une fille de dix ans. Soudainement, elle te paraît plus fragile, cette mère plus tout à fait célibataire. Elle sautille comme un enfant, sourit délicatement : elle a l’air d’avoir l’esprit léger, léger comme un ballon pourtant sur le point… d’éclater. Elle plaque tout sans retenue, comme on ne plaque que par amour. Avec sa fille, elle échoue dans un coin perdu des États-Unis. Ses journées se remplissent peu à peu de vide et d’herbes folles. T’as envie de lui hurler de cesser de tourner en rond, t’as envie de lui dire qu’il y a une odeur de fleur qui se fane et de feuilles qui meurent en automne. Et lui, il te met hors de toi, parce qu’il n’a jamais l’air tout à fait là. Il s’affaire ici et là, bricolant. Mais il ne sait que retaper les murs et a peu de talent pour rattraper l’humain quand il dégringole. Il t’agace avec ses bras ballants, sa mine inexpressive, son immobilisme insultant. La chute, tu crois la voir lorsqu’elle s’en va avec ses valises et sa fille sous le bras. Il y a un drôle de quelque-chose qui ne s’emboîte pas. T’as mal avec elle mais tu te dis qu’à dépérir ainsi, elle risquerait de laisser crever toute cette poésie en elle. Et puis tu te pinces : merde, ce n’est qu’un film bordel.
Elle part, il reste : il ne lui reste plus qu’à se glisser passivement dans une relation neuve vouée à rien. Elle a des cheveux d’or, elle est plus cassable qu’une tasse en porcelaine et aussi paumée que lui, à sa manière. Il demeure fidèle à lui-même, constant dans son indécision. Il t’irrite plus que jamais et elle, t’as envie de lui raturer le visage à l’aide d’un terrible rouge à lèvres. Tu lui trouves un air de ne pas y toucher qui te donne envie de la secouer, juste un peu. Le jeu cesse, comme s’il acceptait de se rendre à l’évidence : l’inachevé frappe à sa porte ou à son cœur, au choix.
Il retrouve celle qu’il aime inévitablement et imparfaitement. Elle n’est plus accompagnée de sa fille, partie vivre chez son père, parce que c’est super. Ils se marient à la va vite. Ils s’aiment, ils s’abîment, ils s’aiment encore. Bis. Tu trouves qu’en matière de simplicité ils manquent d’ambition, de compétences. Et pourtant ils te touchent car ils ont sans cesse un peu de tout un chacun. D’ailleurs, ça te dérange de le reconnaître, tu préfèrerais ne pas le voir. Et quand elle s’offre mollement au premier venu pour ensuite s’empresser de tout avouer, tu la trouve faible dans sa bataille. Ils ne cessent de prendre leur envol pour fendre l’air, puis battre de l’aile. Cette vision du couple t’agresse, tant elle semble proche du vrai, tant tu souhaites qu’elle soit fausse. L’espoir, tu l’aperçois dans la beauté des images, dans ce que le film tait et dans cet espace qu’il laisse pour imaginer le meilleur. Et tu te dis, à tort ou à raison, qu’un film qui te dérange et t’éblouis autant ne peut être que merveille.
Article rédigé par Petite Voix Off
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