Divina n’avait guère que sa personne pour bagages. Elle patientait devant l’aéroport, crispée, choquée par le froid. Dans son hémisphère, c’était la saison des pluies et de la boue qui coule le long des rues. Le décembre du nord, elle ne l’avait aperçu que sur l’écran de la télévision. Il aurait dû être là son oncle, tonton Crépin. Elle guettait le visage familier dans ce qui était pour elle un tourbillon d’étrangeté.
̶ Oh ma sœur, ils ne sont pas venus pour t’accueillir ? demanda un chauffeur de taxi feignant la consternation.
̶ Mon oncle va arriver d’une minute à l’autre, merci, répondit Divina, doutant subitement de ce qu’elle avançait.
Le chauffeur reconnaissait dans le regard de la jeune femme cette peur du fraîchement débarqué d’un bout de sud sinistré.
̶ C’est ta première fois en France ? Alors, comment va le pays ? s’enquit-il sûr de lui, entrouvrant la portière du taxi.
̶ Oui, je suis bien arrivée, Dieu merci… Ah le pays, il change pas… soupira doucement Divina.
̶ Ah le bled vraiment… acquiesça le chauffeur. Il fit semblant de se ressaisir : Tu ne peux pas rester ici comme ça, ma sœur, donne-moi l’adresse, je te fais un bon prix. Les autres risquent de te t’escroquer, c’est malheureux, poursuivit-il sur un ton faussement indigné.
̶ Mais mon oncle doit arriver, s’il vient et qu’il ne me trouve pas… s’inquiéta Divina à voix haute, scrutant un bout de papier chiffonné qu’elle venait de retirer de sa poche.
̶ Montre-moi l’adresse, regarde, je peux la rentrer tout de suite dans mon GPS, on sera vite arrivés, dit le chauffeur, profitant de l’hésitation de sa future cliente pour sortir du taxi, prendre son sac et le mettre dans le coffre.
Le pantalon orange du chauffeur atténuait le noir du taxi. Il augmenta le volume de la musique. Divina retrouvait avec une sorte de soulagement le son du pays. Le trajet lui coûta tous les euros qu’elle avait sur elle.
***
Dans le salon, la télévision prenait toute a place. Tonton Crépin hurlait au téléphone des indications concernant un colis à récupérer. Tantine Jocelyne allait et venait entre la cuisine et le salon, trainant des pieds.
̶ Divina, tu dois avoir faim, mange, il y a le manioc et le poisson salé, lança tantine Jocelyne depuis la cuisine.
Divina s’approcha de la table, surprise d’y retrouver la nourriture de là-bas. La sonnette retentit brusquement à plusieurs reprises. Oncle Gilbert entra, gros, imposant, serré dans son costume. Sa femme, Prisca, arborait fièrement un visage chargé de maquillage et de lourds bijoux. Elle fit entrer les quatre enfants qui formaient dans l’embrasure de la porte une petite procession emmitouflée.
̶ Ah Divina, ça fait longtemps hein ! cria Prisca en nouant un pagne par-dessus son ensemble blanc.
Divina hocha la tête en silence, tandis que Prisca s’engouffrait dans la cuisine d’un pas lourd, roulant ses hanches gueulardes. Prisca et tantine Jocelyne faisaient frire les beignets à la banane, discutant en langue africaine et parsemant leurs phrases de mots de français.
̶ Divina, comment va l’enfant ? demanda Gilbert.
Divina se raidit imperceptiblement. C’est qu’elle avait laissé sa fille de quatre ans à sa grand-mère. Elle était partie avec l’idée de la faire venir une fois qu’elle aurait une situation en France.
̶ Elle va bien, merci, répondit faiblement Divina. Elle eut brusquement très froid, et son cœur battait douloureusement.
***
Sous la tour Eiffel, on vendait des tours Eiffel. Divina faisait partie de ceux qui restent en dessous, la tête tournée vers le ciel. Elle se contenterait d’envoyer la photo tant attendue à sa famille. Son téléphone retentit dans sa poche.
̶ Allo, allo ! Divina ? s’écriait une voix lointaine.
̶ Oui ? C’est qui ? répondit Divina.
̶ C’est Ornella, oh, tu ne me reconnais pas, tu m’as déjà oublié ? répondit la voix faussement rieuse.
Cette cousine-là, Divina n’était pas partie lui dire au revoir. Visiblement, elle avait eu vent de son départ.
̶ Ornella ! Comment va la famille ? demanda Divina presque craintivement.
̶ ̶ Oh tu sais, trop de problèmes, maman la santé ça va pas trop, il lui faut des médicaments… Et puis là je t’appelle avec le téléphone de mon grand frère, on m’a volé le mien… Divina, maintenant que tu es bien, j’espère que tu ne vas pas nous oublier hein ! Tu peux me rappeler, j’ai plus beaucoup d’unités !
Divina n’eut pas la force de lui répondre qu’elle vivait toujours chez tonton Crépin, qu’elle n’avait pas encore trouvé de travail et que elle non plus, des unités elle n’en avait pas. Elle sourit, l’El Dorado, il fallait y entrer pour comprendre qu’il n’existait pas.
Article rédigé par Petite Voix Off
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