Le défi du cul entre deux chaises est gravé dans sa peau. Une vie à conjuguer ici et ailleurs, à faire rimer les différences, à commencer une phrase dans une langue et l’achever dans une autre. Une vie à apprivoiser une identité plurielle, à faire le grand écart entre plusieurs continents. Avec l’enfant café crème, on s’immergera dans cette vie caméléon, ce jeu d’équilibriste, résultat d’une nécessaire faculté d’adaptation. On dirait qu’on aurait des passeports de plusieurs couleurs et que parfois, on se dirait au revoir dans un aéroport. On dirait qu’on mangerait des bananes plantain accompagnées de feuilles de manioc et qu’en dessert, on engloutirait une part d’apple pie. On dirait qu’on chanterait Charlie Winston puis qu’on se trémousserait au rythme de Bisso na Bisso. On dirait qu’on ferait les courses en jeans et que, sitôt rentrées, on porterait un pagne. On dirait qu’on jouerait à la coiffeuse et qu’on pesterait contre ces tignasses trop lisses ou trop frisées. On dirait qu’en contemplant l’album photo, on se gratterait la tête devant un tel casse-tête. À être un peu tout à la fois, on s’inquiéterait de se perdre un peu, soi.
Faire un choix entre le café et la crème ? Comme devoir répondre à la question : « Bonjour, de quel membre préférez-vous être amputée, du bras ou plutôt de la jambe ? » ? La beauté de cette complexe diversité brille de toutes ses forces et la possibilité d’une quelconque renonciation ressemble à la pire des trahisons. Et si on disait que toi, tu faisais une tresse avec ces cultures, pour qu’elles se lient d’amitié, et que moi je la nouais avec un ruban multicolore ? Et si on disait qu’on marcherait sur une route mi-goudronnée, mi-terre et poussière ? Et si on disait qu’on se fabriquerait le plus beau des drapeaux mosaïque ? Et si on disait qu’au nord, sous la pluie, tu rayonnerais, remplie de ce soleil du sud et que sur toute la longitude, on ferait du toboggan ? Et si on était un puzzle, et que toutes les pièces s’emboîtaient ? À trop flirter avec un idéal, on aurait peur de le voir tomber de son piédestal.
Évaluer les risques d’une mixité innée ? Comme si des données autres que l’expérience, les essais et les tentatives pouvaient parler. Dis, mais qu’est-ce qu’on va faire si un jour on me regarde de travers ? Dis, mais est-ce qu’on nous tirera la langue, si on oublie une langue ? Dis, mais qui serons-nous si l’on se fâche avec l’une de nos identités ? Dis, mais où on ira si l’on ignore quel quel pays est le nôtre ? Dis, mais on fera comme ici avec les sans-abris, la pauvreté, là-bas, on fera semblant de ne pas la voir ? Dis, mais on la construira où notre maison, si là-bas, on est des étrangers et ici aussi ? Dis, mais ce n’est pas un peu compliqué d’être café crème ? Oh oui ma plus belle, mais quelle richesse extrême.
Article rédigé par Petite Voix Off