Trois femmes s’affairent dans différents coins d’une pièce peinte en trois couleurs. Sur un mur est accrochée une photo d’une femme qui jongle en tirant la langue. Une femme en chemise blanche et jupe crayon noire est assise à un bureau et scrute nerveusement l’écran de son ordinateur. Elle ne cesse de faire glisser la souris avec des gestes saccadés. Une seconde femme, vêtue d’un jean et d’un T-shirt marron cuisine rapidement et méthodiquement. Une troisième femme, qui porte une robe violette fluide, mi assise, mi allongée dans un canapé, lit un livre tout en se limant les ongles.
MISS PETITE MAIN : J’ai presque fini. J’envoie un mail, je jette un œil aux nouvelles offres de taf et je file…
MLLE DARONNE, fronçant les sourcils : Tu te fiches de moi ? Il est 17h37 et tu dois normalement te barrer à 17h30. T’as déjà oublié ton dernier point de côté ? Tu sais, lundi dernier à 19h01, quand tu courais comme une évadée pour récupérer ta môme ?
MISS PETITE MAIN, moue boudeuse, s’activant sur son clavier : T’as raison mais j’ai repéré une offre pas mal, si je ne postule pas tout de suite ce soir je vais zapper, c’est inévitable.
LA LADY, se remettant un peu de rouge à lèvres : Vous me saoulez avez votre prosaïsme, votre réalisme ! Moi au moins, je sais m’évader… Dans le train, je vais rouvrir mon livre et me faire une petite virée ailleurs. Je n’entendrai même plus les beuglements téléphoniques, les bousculades nerveuses. Si vous saviez comme les mots apaisent ! Les mots respirent, la phrase chante, le livre ne dit rien.
MLLE DARONNE, sur un ton sarcastique, battant des œufs trop énergiquement : Qu’elle est mignonne ! Un petit bouquin lui fait oublier son retard, ses contraintes et compagnie ! Je vais te dire la vérité : tu relis chaque page trois fois parce qu’en réalité, tu es en train de réfléchir à ce que tu vas bien pouvoir préparer à bouffer ce soir, et puis tu te creuses la tête pour savoir quel est le gâteau que tu auras le courage de confectionner vendredi soir, les paupières lourdes, pour la fête de fin d’année de l’école samedi matin parce que t’as pas envie d’être la seule à te pointer les mains vides.
MISS PETITE MAIN, l’air agacé, tapant très fort sur son clavier : Oui mais bon, je n’ai pas forcément le temps ou l’envie de me la jouer Bree Van de Kamp. Peut-être que la maman de Samantha qui déboule avec un gâteau d’anniv en forme de princesse, qui connaît les dates de toutes les vacances scolaires de l’année par coeur et les prénoms de tous les élèves de moyenne section sur le bout des doigts ne bosse pas. Ou alors, faut qu’elle me file sa méthode, car j’ai vraiment dû louper un épisode !
La Lady s’est levée et fait des tours sur elle-même, pour faire tourner sa robe. Elle ne cache pas son plaisir.
LA LADY : Et que ça se compare aux autres dames ! Et qu’elles fabriquent des pensées qui ont des tronches de pages d’agenda ! Un passage à la boulangerie fera l’affaire ! Vous récupérerez un fabuleux trophée : du temps pour vous affaler devant un film de midinette en laissant sécher votre nouveau vernis, les doigts de pieds en éventail, une tablette de chocolat à portée de main.
MLLE DARONNE, irritée mais moins sûre d’elle : Mais tout ça, tu peux le faire en repassant les fringues de ta môme en prévision de son week-end chez son père…
MISS PETITE MAIN, parlant vite tout en mettant de l’ordre sur son bureau : Et puis pendant la pub, tu envoies quelques candidatures. S’il se fait tard, tu laisses les mails dans tes brouillons. Je pense que ça fait mieux si le recruteur voit que le mail a été envoyé à 8h30 plutôt que 00h45.
La Lady tourne de plus en plus vite.
LA LADY : Et quand trouves-tu le temps de penser à rien, de rêver de tout, d’aimer sans demi-teinte ? Entre deux coups de torchon, deux mails cordiaux, deux portes de métro qui se referment ? Ah, mais j’y suis ! Etre femme, c’est savoir conjuguer plusieurs identités ! C’est savoir les cuisiner, en les dosant savamment, les mélangeant avec adresse. Vous savez quoi les dames ? De temps en temps, je préfère opter pour l’imperfection !
La Lady s’arrête de tourner, elle ôte ses escarpins, elle a le tournis et chancelle légèrement.
MISS PETITE MAIN, murmurant : Comme je t’envie !
MLLE DARONNE, marmonnant : Moi aussi…
Les trois femmes se lancent un clin d’œil. Au même instant, la photo accrochée au mur tombe. Miss Petite Main et Mlle Daronne se précipitent vers un placard, y entrent et ressortent une minute plus tard vêtues de la même robe violette que La Lady.
Article rédigé par Petite Voix Off
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