Souviens-toi… tes jobs d’été BEAUTÉ

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On a beau souffler le lundi matin dans le bus bondé, soupirer parce que la journée de travail d’aujourd’hui fût la photocopie de celle d’hier, supprimer hargneusement un mail « Nous sommes au regret de vous annoncer que votre candidature n’a pas été retenue »; en attendant le job du siècle il va bien falloir s’armer d’ondes positives. Il existe une méthode à l’efficacité redoutable pour repailleter un poste devenu, à notre humble avis, un peu gris : se remémorer ses jobs d’été, ses boulots d’étudiant, tous ces emplois occupés le temps d’une année, d’un semestre, d’une saison, d’une journée.


« Écrase ta clope ! Ya une pionne ! »


 


Dans ce bahut, 95% des élèves sont des mecs : deux à trois années de moins que vous voire le même âge que vous (quelques redoublements obligent), deux à trois têtes de plus que vous. Le petit Lamine, avec sa démarche de pantin désarticulé, son énergie incontrôlable et son sourire de bon petit diable vous fait à la fois rire et suer. Un grand gaillard tente de vous embrasser dans un couloir et s’écrie « Vous n’avez pas le droit ! » (Et toi, t’avais le droit ?) lorsque vous lui offrez une gifle. Vous réprimez votre sourire devant les mines renfrognées face un poème de Baudelaire : « Mais franchement madame, entre toi et moi, ça sert à rien la poésie ! « 


 


« Un menu normal ou XL ? »


 


C’est une rapide et discrète asiatique qui vous enseigne l’art d’introduire le bon nombre de rondelles de tomates dans les salades qui doivent ensuite être stockées dans le « positif ». L’ennui, c’est que son accent est si charmant que vous ne saisissez que quelques bribes de ses phases. À la caisse, c’est Jennifer qui fait de vous un robot ultra performant en l’espace de 48 heures. Il faut annuler un ticket parce que le client, tout compte fait, préfère une glace plutôt qu’un brownie en dessert : elle hurle. Vous avez appuyé un peu trop fort sur la manette qui permet de remplir les cups de glace. Le résultat ressemble à un attentat à la glace piégée et Jennifer n’est pas loin d’exploser. Avec l’élégance verbale qui lui est propre, elle vous annonce vos quatre vérités et lance la glace dans la poubelle. Le lendemain, vous êtes nerveuse et opérationnelle.


 


« Mademoiselle, vos yeux sont assortis à votre tailleur ! »


 


Vêtue d’un tailleur jupe aux couleurs pastel, vous avez l’air d’un bonbon Harlequin échoué dans un hall d’accueil. Vous vous accoutumez à l’espionnage constant de Mme Services Généraux, qui visiblement se trouve empêtrée dans une fâcheuse situation de pénurie de travail. Elle doit être traitée avec le plus grand des respects, car elle est la vénérable cliente de l’agence d’hôtesses d’accueil qui vous a catapultée dans ce hall. Mme Services Généraux prend parfois les hôtesses comme confidentes et livre ses galères de cœur avant de piquer une crise d’hystérie au sujet d’un colis égaré qu’elle retrouvera deux jours plus tard dans son bureau. Vous apprenez, suite au coup de fil sonore d’une assistante hors d’elle, à ne jamais transférer directement un appel au directeur marketing. Et puis vous vous armez de votre bouclier « Gare aux coursiers ! » : il y a l’ours, toujours de mauvais poil, le clown, toujours avec une blague au bout de la langue et le dragueur infernal, qui tente sa chance à chaque course (donc tous les jours ou presque).


 


« Vous êtes bien gentille mais j’ai autre chose à faire que de répondre à votre questionnaire ! «  


 


Vous sortez de l’ascenseur et c’est un puissant brouhaha polyglotte qui vous accueille. Dans votre rangée du plateau du call center, c’est Mister Sy qui hurle le plus fort. « Sy ! My name is Mister Sy ! » Alors vous élevez la voix en espérant couvrir la sienne. Puis concentration intense pour parvenir à entendre ce que l’Irlandais vous balance au bout du fil. Un gros superviseur qui aurait dû faire gardien de prison fait des rondes et vous met sur écoute de temps à autre. Vous ne bronchez plus face au rejet des professionnels que vous dérangez en pleine réunion :  » Encore vous ! Enlevez-moi de vos listes ! » Bip, bip, bip. Déranger, c’est un métier.


 


 » Métro ! Métro ! Demandez Métro ! « 


 


Dans cet immense K-way vert, votre sex-appeal se trouve pourtant au niveau zéro. Mais deux ou trois désespérés s’arrêtent quand-même pour savoir si vous êtes étudiante, si vous avez un mec et si vous auriez un peu de temps pour prendre un café après votre corvée, même si vous avez un mec. Peut-être qu’il serait envisageable de leur refourguer la pile de journaux avant de s’enfuir ? Kamel, le co-distributeur, arrive en retard. Vous ne le connaissez pas mais il parle, sans pause, tout en déposant d’énormes piles de journaux devant toutes les sorties du métro. Il vous explique pourquoi il a quitté l’Algérie, pourquoi il est toujours étudiant à 30 ans et pourquoi il habite chez des potes. Vous l’écoutez d’une oreille tout en tendant la main machinalement aux passants pressés-stressés qui vous arrachent des journaux… ou pas.


 


Et finalement, cette petite promenade dans vos souvenirs a rallumé votre sourire, ravivé votre envie de progression. Vos petits boulots vous ont fait les pieds, mais vous n’avez aucune envie d’y retourner. Votre job retrouve, aussi faible soit-elle, une aura. 


 


Article rédigé par Petite Voix Off



 
 


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