« La sainte beauté du jour qui se lève » BEAUTÉ

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C’est ce qu’écrit le 30 mai 1913 Pauline Benda, alias Madame Simone, à Henri-Alban Fournier, alias Alain-Fournier : « Mon ami, grâce à vous j’ai connu la sainte beauté du jour qui se lève. Mais pourquoi êtes-vous parti à l’aube ? »


 


Ce mot, ce « pneu » en réalité (à l’époque où on pouvait à Paris, avant les courriers électroniques, envoyer de manière ultra-rapide des mots dans des tubes pneumatiques de poste à poste, et qui étaient ensuite portés à domicile), marque le début d’une grande passion entre cet homme et cette femme.


 


Pauline Benda (1877-1985) était une célèbre actrice de théâtre, connue sous le nom de Madame Simone. Après un premier mariage peu réussi, elle s’était remariée avec Claude Casimir-Périer, deuxième union qui ne fut guère plus heureuse que la première. Très liée aux milieux littéraires et artistiques, elle recevait chez elle Edmond Rostand, Jean Cocteau, Charles Péguy. C’est de cette manière qu’elle fait la connaissance d’Henri-Alban Fournier, jeune (plus jeune de neuf ans qu’elle) auteur prometteur que Charles Péguy a présenté à son mari pour qu’il en devienne le secrétaire.


 



 


Fournier qui travaille à l’écriture de son roman, « le Grand Meaulnes », est éperdument amoureux depuis qu’il a 18 ans d’Yvonne de Quiévercourt qu’il a croisée à la sortie d’une exposition et qu’il rebaptise Yvonne de Galais dans le roman, Amour impossible puisqu’elle en épouse un autre.


 


« La jeune fille la plus belle qu’il y ait peut-être jamais eu au monde.  Jamais je ne vis tant de grâce s’unir à tant de gravité. […]. C’était la plus grave des jeunes filles, la plus frêle des femmes. Une lourde chevelure blonde pesait sur son front et sur son visage, délicatement dessiné, finement modelé. Sur son teint très pur, l’été avait posé deux taches de rousseur… Je ne remarquai qu’un défaut à tant de beauté : aux moments de tristesse, de découragement ou seulement de réflexion profonde, ce visage si pur se marbrait légèrement de rouge, comme il arrive chez certains malades gravement atteints sans qu’on le sache. Alors tout l’admiration de celui qui la regardait faisait place à une sorte de pitié d’autant plus déchirante qu’elle surprenait davantage », Le Grand Meaulnes.


 


Avant même ce pneu de mai 1913, le 5 novembre 1912, Henri Fournier écrivait pourtant à Pauline qu’il appelait encore « chère Madame » ces lignes : « Je suis obligé de vous dire que le Grand Meaulnes a abandonné avant-hier – le jour même de ses noces – la jeune fille qu’il avait cherchée, aimée et poursuivie durant toute son adolescence ». La destinataire de cette lettre nota que : « la phrase sonna bizarrement à mon oreille. Je me surpris à la relire, à l’ausculter, comme pour lui arracher son secret. Des phantasmes dont s’était nourrie l’imagination de Fournier après la ravissante rencontre de Cours-la-Reine en 1905, j’ignorais tout. Cependant il m’apparut que l’abandon d’Yvonne de Galais par Augustin Meaulnes, annoncé de pareille manière, avait un sens au-delà des mots, au-delà de l’oeuvre et de son dénouement ».


 


La perspicacité de l’actrice n’était pas en défaut. Henri Fournier tombait amoureux et cherchait un moyen de livrer ses sentiments à celle qui l’impressionnait par sa beauté, son âge, son statut social. En mai 1913, Fournier apprend que la femme de ses rêves de tout jeune homme, Yvonne, attend son deuxième enfant. Il écrit à son grand ami Jacques Rivière : « j’ai sangloté tout le soir dans ma chambre ».


 


Il écrit aussi à  Pauline pour lui raconter « la plus grande douleur de ma vie » (il a 27 ans) et pourtant celle-ci comprend que « cette confidence annonçait une nouvelle approche. Car les mots employés étaient ceux que choisit la plus vive tendresse, et l’on n’écrit ainsi qu’à celle qui vous remplit le cœur ».


 


Ce fameux soir du 30 mai 1913, Fournier entre dans la loge de Pauline pour lui raconter la première du « Sacre du Printemps » qui eut lieu devant une salle houleuse et divisée sur l’appréciation du spectacle. Il la raccompagne jusqu’à son domicile. Arrivée en bas de son immeuble, elle lui propose de venir partager son dîner.


 


« Il accepta, ne sachant pas plus se séparer de moi que je ne me résignais à le voir s’éloigner ». A trois heures du matin, il s’en va, sans oser aucun geste, aucun mot.


 


Le « pneu » de Pauline fait allusion au fait qu’étant actrice, elle avait l’habitude de se lever très tard et donc de ne jamais voir l’aube. Mais après le départ de Fournier, elle s’allonge, incapable de dormir. Une semaine plus tard, le 8 juin, il lui écrit une très longue lettre qui commence par ces mots :


 


« Il est dur de dire la vérité. Il est dur de renoncer aux charades et aux énigmes. Sachez que je ne le fais pas sans une affreuse angoisse. Sachez que je vous aime, ma belle jeune fille, mon beau visage aigu, ma joueuse de tennis. Sachez que je vous aime, belle jeune femme. Sachez que j’aime ce tendre regard posé sur moi ».


 


Ensuite Fournier exprime à la fois ses craintes que cet amour ne soit pas réciproque et énonce tous les moments qu’ils ont passés ensemble et où il a senti que le trouble était réciproque, évoquant « cette figure de jeune femme aimée, soudain détournée, soudain troublée ».


 





 


Les lettres se font passionnées. Fournier peut écrire deux semaines plus tard :  « Mon bel amour, mon bel oiseau, mon beau chéri, je me souviens de cette défaillance immense et magnifique où nous avons sombré tous les deux quand enfin je me suis approché de toi ; je me souviens de ce gonflement de cœur, de cette terrible émotion! Et maintenant je pense, avec le vertige, que bientôt, de nouveau, je serai contre toi, dans toi. Je t’aime. Je suis fou »


 


Mobilisé le 2 août 1914, Fournier disparaît lors du combat de Saint-Remy, fin septembre. Ses restes ne sont retrouvés qu’en mai 1991 dans une fosse commune et formellement identifiés par la suite. Pauline lui écrit encore jusqu’au 9 octobre.


 


Cette liaison, gardée secrète par les familles et les amis, a été révélé par Pauline elle-même dans son livre « Sous de nouveaux soleils » chez Gallimard en 1957, puis par la sœur de Fournier, Isabelle Rivière dans « Vie et Passion d’Alain-Fournier » (réédition Fayard, 1989). En 1992, paraît chez Fayard la correspondance de 1912 à 1914 entre Alain-Fournier et Madame Simone, remarquablement éditée par Claude Sicard. La correspondance n’est pas exhaustive mais telle qu’elle est arrivée jusqu’à nous, elle nous apporte le souffle de la passion et des complications de la vie amoureuse (Pauline tombe enceinte mais ne veut pas garder l’enfant).


 



 


L’écrivain a laissé une œuvre riche de correspondances et un roman symbolisant la complexité des relations amoureuses, les erreurs et la culpabilité qui en découle. Ce roman que nous avons lu au collège ou au lycée, il faut le relire à présent pour en goûter la richesse et la tristesse.


 


L’homme a écrit sans hésiter sa passion et ses doutes à la deuxième femme qu’il a aimée et qui l’aima en retour. Cette correspondance amoureuse est une des plus belles qui existe.


 


On peut voir Madame Simone filmée en juillet 1971 (ina : http://www.ina.fr/art-et-culture/arts-du-spectacle/video/CPC77052315/madame-simone.fr.html)


 


Photos : correspondance image Fayard


Alain-Fournier : site truffiere.org


Madame Simone : tableau de Henry Caro-Delvaille. Sur commonswikimedia.org


 




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