Cet inconnu du métro BEAUTÉ

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Tu es entré dans la rame avec la discrétion d’une ombre et tu es resté immobile devant les portes qui venaient de se refermer. Personne ne t’as vu et pourtant ton regard vert criait, fouillait les visages, s’attardait çà et là. Tu avais les cheveux figés et bien peignés d’un homme trop appliqué. Ton jeans et ton t-shirt noir virant gris semblaient peser sur ton corps, l’écraser, le raturer. Tes épaules s’affaissaient et tu trainais ton pas lourd d’incertitude. De ta voix brisée, tu as d’abord semblé ânonner, tu récitais ta poésie de vie que tu connaissais par cœur, pour l’avoir tant subie. Le bruit du métro broyait les mots que tu choisissais avec soin, en orfèvre du discours. Tu es parvenu à rassembler tout ton courage pour hausser le ton et laisser éclater ton orage, ta rafale de phrases cruciales au réalisme brutal. Et pendant que les mots s’échappaient de tes lèvres en catastrophe, tu t’autorisais à relever la tête que tu avais jusque-là maintenue consciencieusement baissée, les yeux vissés sur tes pieds. Ton regard balayait doucement la rame, méthodiquement, rangée par rangée. Il trouait les journaux pour entrapercevoir les visages qui s’abritaient derrière les pages. Il forçait l’attention d’une dame trop fardée, à l’air pincé. Il lissait le front plissé d’un homme impatient consultant ses mails importants sur un tout petit écran. Il effleurait tristement les jambes d’un enfant qui n’atteignait pas le sol et battaient l’air silencieusement. Puis, sans crier gare, tu t’es engouffré dans l’allée.


 


Happé par des regards qui te toisaient ou qui prenaient la fuite, terrassé par ce silence d’indifférence,  balayé par le rire d’une femme qui ne t’avait pas écouté, tu glissais sans heurts, arborant un visage d’une désœuvrante neutralité, dernier pilier de ta dignité. Dans tes yeux, petits miroirs dans lesquels personne ne voulait se voir, pas un soupçon de supplication, d’auto-flagellation, de dérèglement de la raison. Juste une terrible fluctuation entre espoir et résignation. Un touriste a déplacé avec empressement la valise qui te barrait le passage,  une étudiante a plongé son visage dans son livre avec une mine concentrée, un petit garçon t’as dévisagé, les yeux ronds d’incompréhension. Et une jeune femme t’a souri faiblement en te tendant une pomme verte, s’excusant,  presque honteuse, de son impuissance et de ce petit rien. Ce sourire t’a nourri et tu l’as embrassé du regard. Tu savais qu’elle avait compris, que tu n’avais pas à articuler « merci ».


 


Fantôme de ton domicile roulant,  tu as quitté la rame comme tu es entré, avec la discrétion d’une ombre.


Article rédigé par Petite Voix Off



 
 


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